Nouvel, la nouvelle star des Espagnols
Madrid : Diane Cambon
[30 septembre 2005]
Vêtu de son traditionnel costume noir, Jean Nouvel déambule comme un poisson dans l'eau entre les étages de l'annexe flambant neuf du Musée d'art contemporain de Madrid, le Reina Sofia. Ce bâtiment ultramoderne dominé par les tons rouge et noir est la dernière oeuvre inaugurée en Espagne par l'architecte français. En un mois, le père de l'Institut du monde arabe à Paris a dévoilé au public pas moins de trois projets colossaux dans la péninsule Ibérique. Les deux plus grandes villes espagnoles lui ont confié la construction de bâtiments majestueux, tel que l'ampliation du Reina Sofia, mais aussi la tour Agbar à Barcelone, une structure ovale en béton de 142 mètres de haut, qui surplombe la cité catalane.
Outre ces commandes pharaoniques, l'architecte français a dessiné la façade multicolore du très moderne hôtel Puerta de America à Madrid, ouvert officiellement depuis quinze jours et travaille actuellement sur la construction d'un autre hôtel à Barcelone et sur la conception de logements de luxe dans le port d'Ibiza (Baléares).
Jamais un architecte contemporain étranger n'avait suscité un tel engouement en Espagne. Un engouement partagé par Jean Nouvel qui avoue se sentir «une âme méditerranéenne» et être particulièrement sensible à la culture hispanique.
Résultat : que ce soit à Madrid, à Barcelone ou prochainement à Ibiza, la «Nouvel mania» a gagné tout le territoire. L'oeuvre du Français fait en effet irruption dans le paysage urbain ibérique, même si ses créations provoquent l'étonnement et parfois même la perplexité des autochtones.
A Madrid, l'annexe du Reina Sofia, d'un coût de 92 millions d'euros, s'impose en effet avec force dans le quartier populaire de la gare d'Atocha.
Semblable à un vaisseau spatial prêt au décollage, l'édifice de forme triangulaire comprend trois bâtiments en verre et en métal couleur rouge, abritant une bibliothèque en bois clair, un auditorium, un restaurant des plus «fashon» et des salles d'expositions temporaires. Le tout est surmonté d'un vaste toit ajouré, où les rayons du soleil éclairent sans agressivité un patio planté d'arbres.
«L'extension du musée ne doit pas bousculer ni traumatiser le quartier, mais elle doit s'y adapter et le valoriser», assure Jean Nouvel pour qui le choix du rouge est un clin d'oeil à l'architecture en brique de Madrid. Pourtant, cette annexe forme un contraste saisissant avec la bâtisse principale, un ancien hôpital massif et austère, reconverti en musée dans les années 80. «L'annexe doit s'ouvrir sur la ville et ne pas faire de l'ombre au musée lui-même», rétorque Jean Nouvel aux critiques.
A l'autre bout de la ville, au nord, l'architecte a également posé son emprunte. Le Français a habillé la façade du luxueux hôtel Puerta de America, lequel surgit sur le bord de la route de l'aéroport. L'immeuble est recouvert de vers calligraphiés en couleurs dans plusieurs langues du poème Liberté de Paul Éluard. Dans cet hôtel unique au monde, où chaque étage a été conçu par des architectes différents, Jean Nouvel a eu en charge de réaliser les 12 suites, qu'il a conçues en s'inspirant de la culture japonaise.
Mais c'est à Barcelone que Jean Nouvel a le plus surpris par son originalité. La «Torre Agbar» (siège de la compagnie des eaux catalane du même nom), conçue avec l'architecte madrilène Fermin Vasquez, est devenue le nouvel emblème de la ville. Avec ses 32 étages, l'édifice ne passe pas inaperçu et rivalise désormais en attraction touristique avec la cathédrale «Sagrada familia» d'Antoni Gaudi. Dénommé l'obus, le suppositoire ou le pénis par les Barcelonais, la tour suscite tous genres de commentaires admiratifs ou sarcastiques. Elle s'élève comme une flèche au beau milieu du quartier des affaires, plaça de les Glories et scintille de mille couleurs grâce aux 60 000 plaques d'aluminium. A l'intérieur, elle est composée d'un noyau central qui laisse place à des bureaux spacieux déclinés dans les rouges et les bleues.
A la différence de ses autres créations, la «Torre Agbar» a été conçue en «low-tech». Les matériaux utilisés (béton, verre) sont de faibles coûts et surtout l'édifice est censé être respectueux de l'environnement. «Les 4 400 fenêtres peuvent être ouvertes et permettent ainsi un éclairage et une ventilation naturelle», tient à souligner l'architecte. Fidèle au principe que toute architecture contemporaine doit se fondre avec l'entourage immédiat, Jean Nouvel assure que son «obus» s'inscrit dans l'héritage de Gaudi. «Les jeux des pixels rappellent les clochers de la Sagrada Familia et du parc Güell», commente Nouvel. Reste à savoir si les Barcelonais vont l'adopter comme une des oeuvres majestueuses de leur ville.
Le Figaro, 30 septembre 2005