Au vu des projets qui y furent annoncés ou promis depuis des décennies, nul ne croirait que Sfax soit encore restée aussi mal équipée. L’histoire des projets est ici une répétition qui contribue à accumuler les retards tout en les recouvrant du voile soporifique des belles promesses. On dit que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » et ici l’adage trouve tout son sens et sa pleine application.
Les « grands chantiers » nécessitent bien entendu l’intervention de l’Etat, et à Sfax il en faudrait plus d’un pour commencer à combler les retards accumulés sur des décades. Mais les décideurs lointains ne semblent pas disposés à traiter ici plus d’un problème à la fois ; il faudrait selon eux se limiter à une priorité, comme si les retards dans les autres domaines pouvaient attendre, sans se compliquer davantage.
D’aucuns diront sur un ton « outré, autoritaire et moralisateur » qu’il n’est pas vrai que « rien n’est fait » à Sfax ; c’est exact, car à Sfax on a fait, non pas « rien », mais jusque là « trois fois rien », souvent tardivement et moins bien qu’attendu ou promis ; s’il y a exception, elle ne ferait que confirmer la règle.
Dans le scénario habituel, c’est au gré de « circonstances particulières » qu’on annonce ce qu’on appelle classiquement « un train de mesures en faveur Sfax ». L’annonce se fait toujours avec plus de tapage et d’acclamations que nulle part ailleurs, comme si toute réalisation ici devait être perçue comme un fait exceptionnel, presque contre nature ; cela surprend et cela se comprend. On exulte donc à l’occasion, on se congratule, on remercie avec force reconnaissance et on applaudit à tout rompre… et on attend !!!.
A Sfax, on sait attendre sans limites, indéfiniment…, et on sait donc oublier.
Bien des projets annoncés, ressassés des années dans les discours et affichés dans les expositions en diagrammes et maquettes finissent donc à jamais oubliés.
Bien d’autres trainent des années avant d’être réalisés, mais pas toujours dans les délais ou les normes annoncées. Ainsi, certains sont si tardivement réalisés qu’ils en arrivent à être presque « mieux appréciés » tant ils se sont fait attendre, auréolés du qualificatif survalorisant de « rêve sfaxien tant attendu ». D’autres, annoncés grandioses et applaudis en conséquence, sont mis en veilleuse puis sournoisement révisés, toujours à la baisse et en moins bien, comme si le bien ici faisait mal.
C’est dans ce dernier ordre de démarche que fut réalisé ce qu’on a baptisé, sans gêne ni complexe, le « Complexe Culturel Mohamed Jammoussi », au terme d’une incroyable histoire dont voici quelques péripéties :
L’idée de la nécessité de doter Sfax d’un complexe culturel à sa dimension remonte aux années 80 ; lors du mandat municipal 80-85 un lot lui était réservé dans le programme de Sfax-el-Jadida, mais il fut confisqué par le Gouvernorat pour la construction de son siège. Quant à la Culture, en victime facile, elle dut attendre que lui soit attribué en remplacement un autre terrain sur le même lotissement ; tant pis s’il y a retard et si d’un plan quinquennal à l’autre, les budgets (alloués aux projets culturels) inutilisés se sont évaporés ; la Culture n’aura pas fait exception.
On fit savoir un jour, comme pour dire que « tout vient à point nommé pour qui sait attendre », que sur le nouveau terrain qui lui fut attribué devait être réalisé un complexe culturel digne de ce nom pour une enveloppe budgétaire de 23 millions de dinars environ.
Un concours d’idées fut lancé par la Municipalité sur cette base qui prévoyait la réalisation de deux musées, d'une cité des sciences et d’une maison de la culture dotée "d’une salle polyvalente de 2500 places et d'un théâtre de 600 places".
Le projet lauréat du concours fut celui des architectes (associés) Taoufik El-Euch et Chokri Makhlouf, avec sa surface couverte totale de 36000 m2. Tout s’annonçait pour le mieux, surtout qu’on précisait avec satisfaction et pour rassurer les sceptiques que le projet portait le label « Présidentiel ».
On laissa dire et applaudir, mais on ne tarda pas à venir tempérer les ardeurs et les attentes (légitimes) pour ramener les choses à « la dimension voulue », celle qui part du principe que Sfax ne serait qu’une localité parmi tant d’autres, sans l’envergure ni les besoins particuliers d’une grande Cité. C’est ce que le représentant du Ministère de la Culture semblait venu rappeler (une fois de plus) à la Municipalité de Sfax lors de la séance de travail du 20/11/1997 ; il réfutait catégoriquement le projet et il précisait que le Ministère de la Culture n’avait prévu pour Sfax qu’un centre culturel à petit budget. Le Conseil Municipal de l’époque a eu la dignité de refuser qu’on sous-estime et traite Sfax ainsi, et il a tenu bon pour que soit retenu son projet à lui, conçu à la dimension de la ville ; il s’est alors évertué par diverses propositions à trouver une solution à son financement, tout en envisageant que sa réalisation puisse se faire par tranches et par étapes étalées dans le temps.
Mais le Conseil Municipal suivant a « calculé et vu » autrement ; il a adhéré avec zèle aux options officielles et accepté sans attendre la « petite solution ».
Ainsi sur le précieux terrain destiné au complexe culturel de la plus grande ville du pays (après La Capitale) fut implanté un édifice de l’importance d’une « maison de la culture » d’un village moyen ; le modeste édifice estimé à 1,5 millions de dinars conçu autour d’une salle de spectacle de 700 places de « petit standing » fut inauguré à grandes pompes à deux reprises (fallait-il insister !) et il porta même le nom ronflant de "Complexe Culturel Mohamed Jammoussi à Sfax".
La Ville de Sfax et « le grand Jammoussi » méritaient certainement mieux.
En réalité, le terrain nu rappelait le retard déjà pris et attendait des crédits. En le recouvrant à peu de frais on a fait l’économie d’une dépense et on a surtout rendu impossible dans l’immédiat la réalisation du Complexe Culturel projeté, le vrai ; ce projet, pourtant tout juste correct, aurait-il été jugé trop beau pour Sfax ?
Notre cher pays a -Dieu merci- la chance aujourd’hui de pouvoir faire et il fait, de plus en plus et un peu partout, des réalisations grandioses et des dépenses de prestige. Dans ce contexte radieusement prospère il est frustrant que des décideurs nationaux puissent imposer une « solution de misère » à la Culture à Sfax, une ville qui mérite sans doute plus d’égards et d’attentions, tout comme il est révoltant de constater la passivité complice des responsables locaux face à l’indélicatesse et au préjudice évidents du geste. Pire, ces derniers osent nous expliquer en coulisse qu’il vaut mieux savoir accepter ce qu’on veut bien nous donner que de n’avoir rien du tout.
Il est navrant de comprendre et impossible d’admettre ou de taire ce qui se passe…
Mais "dire la vérité" est risqué, la dignité a un prix, et là est la vraie question.
Le silence serait coupable, l’espoir nous fait parler…
source:
http://www.sfaxonline.com/fr/sfax/s...mplexe-culturel-de-sfax-lincroyable-histoire-