Manœuvres géopolitiques autour du gazoduc Maghreb-Europe ?
medias24Le contrat du gazoduc algérien Maghreb-Europe qui fournit l’Espagne via le Maroc moyennant une redevance annuelle de 0,5 milliard de mètres cubes s’achèvera en 2021. L’accord pourrait ne pas être reconduit puisque l'Algérie affirme avoir lancé un chantier pour construire un autre gazoduc qui lui permettra, à partir de 2020, de se passer du tronçon marocain. Selon une source marocaine crédible, cette annonce géopolitique destinée à provoquer une réaction marocaine n’aura aucune incidence sur la capacité du Maroc à trouver d’autres fournisseurs.
Dépourvu encore de réserves de gaz et de station de traitement pour le stocker en masse, le Maroc s’approvisionne auprès de son voisin algérien pour ses besoins gaziers.
Depuis son entrée en service en 1996, le gazoduc Maghreb-Europe, long de 1.300 km, part du gisement gazier algérien de Hassi R’mel, puis traverse 540 km de territoire marocain avant de continuer sa route (maritime et terrestre) jusqu’à sa destination finale, Cordoue.
En échange du droit de passage du gaz algérien (13,5 milliards de mètres cubes par an), le Maroc perçoit, depuis 2011, une redevance annuelle en nature d’un demi-milliard de mètres cubes de gaz, soit près de la moitié de la consommation annuelle du Royaume.
Notons qu’avant d’être payé en gaz pour approvisionner, en partie, ses 2 centrales électriques très proches du gazoduc, il percevait 100 à 150 millions de dollars/an.
Simple nouveau gazoduc ou embargo gazier ?
Le gazoduc est propriété de l'Algérie jusqu'en 2020. En 2021, il devient propriété du Maroc. Il ne s'agit pas de la fin d'un contrat mais d'un changement de propriété.
Trois ans avant cette date, la presse algérienne rapporte que son ministre de l’Energie a lancé, mercredi 12 septembre, un nouveau chantier de déviation du GME qui reliera directement l’Algérie à l’Espagne sans passer par le Maroc, et qui sera prêt en 2020.
Le ministre algérien a déclaré que le branchement du GME (gazoduc Maghreb Europe) au gazoduc Medgaz (qui a une capacité de 8 MM m3/an) avait pour seul objectif d’accroître le volume des exportations gazières de l'Algérie. Les médias des 2 pays ont toutefois interprété ses déclarations comme une volonté de se préparer à la non-reconduction d'accords de transport de gaz en 2021.
Interrogé par Médias24, un grand opérateur énergétique marocain nous déclare qu’en lançant ce chantier, les autorités algériennes désirent sonder les intentions marocaines par un ballon d’essai.
Selon lui, c’est une partie d’échecs qui se joue entre trois acteurs (Algérie, Espagne, Maroc) voisins qui se jaugent et où chaque coup gagné est une victoire géopolitique.
Construire ce nouveau gazoduc est une prise de position déguisée qui veut mettre le Maroc en position de demandeur en 2021. Pour l’Algérie, ce serait donc un moyen d’affirmer sa puissance énergétique sachant qu’elle fournit l'essentiel du gaz consommé au Maroc.
En 2021, prendront fin deux contrats essentiels: Le 1er concerne le GME et le 2ème lie l’ONEE (Office national de l’électricité) à la Sonatrach (2011/2021) qui lui livre chaque année 640 M m3 de gaz pour alimenter les deux centrales électriques de Aïn Béni Mathar (470 MW) et Tahaddart (385 MW).
Aucune difficulté pour le Maroc à remplacer son fournisseur historique de gaz
"Si en 2021, l'Algérie décide d'arrêter de livrer l'Espagne à travers le GME, il n'y aura plus de redevance gazière pour le Royaume. Mais le Maroc n’aura aucun mal à trouver un autre fournisseur. Le problème n’est pas de remplacer le gaz algérien, il est plutôt d’ordre géopolitique. Pour faire court, la démarche algérienne est de mettre son voisin dans l’embarras en le privant de ressources gazières.
"Si nous consommons 1,1 MM m3/an dont 0,5 MM viennent de la redevance et 0,6 MM sont achetés à l’Algérie, nous pourrons cependant nous fournir auprès des USA, de la Russie ou du Qatar qui ne demandent que ça.
"Dans le cas où notre voisin refuserait de renouveler le transit par le GME, le Maroc peut très bien lui proposer d’acheter son gaz sans condition préférentielle. Ainsi l’Espagne vient de renouveler avec ce pays un contrat de fourniture portant sur une quantité annuelle de 10 milliards de mètres cubes.
"Il parait impossible que l’Algérie refuse de livrer le Maroc comme n’importe quel autre client; mais même dans ce cas, nous pourrions s’il le faut acheter du gaz à l’Espagne", précise notre source qui se veut optimiste en assurant que d’ici 2021, le Maroc sera en mesure de se passer du gaz algérien.
Notre interlocuteur avance qu’au terme des 3 ans, les recherches gazières entreprises par la société d’exploration Sound Energy, à Tendrara dans l’Oriental, aboutiront à une exploitation effective.
Tendrara, une solution pour quelques années
Il faudra attendre 2019 ou 2020 pour connaître précisément le volume des réserves commercialisables. Il apparaît déjà probable qu’elles seront suffisantes et que Sound Energy pourra mettre sur le marché entre 0,5 et 1 MM m3/an.
En fonction du volume des futures découvertes gazières, Sound Energy a d’ailleurs déjà prévu de se brancher dessus pour, le cas échéant, exporter son gaz vers le continent européen via l’Espagne.
Une consommation de 5 milliards de mètres cubes de gaz à l’horizon 2025
Sachant que le ministère de l’Energie prévoit une consommation nationale annuelle de 5 MM m3 de gaz, le Maroc a lancé deux grands projets qui permettront de sécuriser ses importations de gaz et d’assurer l’approvisionnement de ses centrales électriques à cycle combiné, soit gaz et charbon.
Le premier consiste à construire une énorme station de traitement de gaz naturel liquide (GNL) sur le site de Jorf Lasfar pour un montant de 45 milliards de DH. Le chantier censé démarrer en 2014 n’a toujours pas avancé.
En parallèle, le Maroc a signé, lors d’une visite royale au Nigéria, un protocole d’accord avec ce grand producteur pour construire un gazoduc reliant le Nigéria à l’Europe via le Maroc.
Sachant que les études techniques (tracé, pays traversés…) n’ont pas encore été finalisées, on ne connaît pas encore la date de sa mise en service ni son coût qui devrait cependant s’élever à plusieurs milliards de dollars.
Au final, même si le terminal gazier a plus de chances de voir le jour avant le gazoduc Maroc-Nigéria, tout se jouera en fonction de la volonté politique au Maroc et en Afrique.