Déroulé d'une vie professionnelle, "Recherche miniere"
Par: Othmane KHETTOUCH Au gisement de fer De Gara Djebilet
En novembre 1971, dans l’euphorie des retrouvailles maroco-algériennes, après la brouille née de la ‘’guerre des sables ‘’ de 1963, et après différentes réunions en haut lieu,
il fut décidé d’approfondir l’étude de la mise en valeur du gisement de fer de Gara Djebilet dans le cadre d’une société mixte, la Société Maroco-Algérienne.
L’idée qui prévalait à l’époque était que toute la production de minerai à Gara Djebilet destinée à l’exportation devait être débloquée à travers le territoire marocain,
par une voie ferrée aboutissant à un port sur l’Atlantique, à proximité de la ville de Tantan, dans la province de Tarfaya.
Il faut signaler qu’une mission préliminaire du BRPM, à laquelle avaient participé Guessous, Directeur Technique, Bouchta, Chef de la Division de la Géologie Minière, Esseddiqui, Chef du Département des Opérations Minières, avait lancé à Alger les premiers jalons de la coopération maroco-algérienne sur la reconnaissance approfondie et la mise en valeur du gisement ;
Ce nouvel intérêt pour Gara Djebilet venait conforter les premières investigations engagées par le Bureau de Recherches Minières Africain (BRMA) du temps de la colonisation française.
Dans ce contexte, une mission nous avait conduits en Algérie pour relancer, avec les responsables de la Société Nationale de Recherches Minières (SONAREM), l’examen du dossier et reconnaître le tracé du futur chemin de fer.
Du côté marocain, le Ministère chargé des mines, l’Office National des Chemins de Fer (ON CF) et le BRPM étaient représentés respectivement par Kacimi, ingénieur géologue, Aïchaoui, responsable des équipements et moi-même.
Originaire du Tafilalet proche des wilayas du sud algérien, je fus chargé par la Direction Générale du BRPM de piloter la mission, malgré la réticence dissimulée d'Aïchaoui de l’ONCF.
Avant le départ de la mission, jugée à caractère stratégique et politique, le Secrétaire Général, Diouri m’avait briefé longuement, m’exhortant à tout faire pour que nos partenaires algériens fussent convaincus de notre désir réel de participer à la mise en valeur rapide du grand gisement de fer.
Après un bref séjour à Alger, accueillis avec des égards particuliers, nous fûmes logés dans la résidence du Club des Pins pour montrer l’excellence retrouvée des rapports entre les deux pôles du Maghreb.
Après des contacts avec les responsables de la SONAREM et de plusieurs administrations concernées, nous avons rejoint Tindouf par un petit avion, bimoteur CESNA, spécialement affrété pour la circonstance.
L’avion, après avoir survolé les Hauts Plateaux, l’Atlas saharien et Bechar (ancien Colomb-Béchar) avait atterri à Tindouf, aux confins du Maroc méridional, sur une piste en tôle d’aviation perforée datant de l’occupation française.
Nous fûmes accueillis par un représentant de la SONAREM et installés sobrement dans un camp /base au centre de la petite cité saharienne.
Tindouf est reliée à Bechar par une belle route goudronnée de 800 km, à travers les hamadas où viennent se déverser les oueds marocains Ziz, Ghéris et Guir et l’oued algérien Zousfana, en formant les oueds Daoura et Saoura.
Avant Tindouf, la route était élargie et transformée en piste d’aéroport pour accueillir les avions gros porteurs.
On nous avait signalé que la Caravelle du Président Boumediene, en tournée dans les wilayas du sud, y avait atterri quelques mois auparavant.
A quelques encablures de Tindouf, en pleine hamada désertique, un forage d’eau (Hassi Robinet), réalisé par les méharistes français à la fin des années quarante, alimentait les nomades et les postes de gardes frontières algériens.
Nous avons bu de cette eau légèrement saumâtre.
Autour de ce point d’eau providentiel, d’un débit de quelques litres par seconde, devenu plus tard Hassi Rabouni, seront érigés en 1975 le quartier général du Polisario et les camps de réfugiés, en provenance obligée de Laâyoune, Smara et Boujdour et des pays voisins (Mauritanie, Mali, Niger) attirés par les aides du Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés.
Tindouf avait rappelé à mon bon souvenir l’affectation, en 1954, de mon cousin germain, Bassou, en tant que goumier dans la compagnie des confins sahariens stationnée dans cette localité administrée à partir d’Agadir.
Il faut rappeler qu’en 1963, sur ordre du Roi Hassan II, après l’intercession des de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) pour mettre fin à la ‘’guerre des sables’’, les troupes marocaines, commandées par le Général Benomar, avaient renoncé à l’occupation de la ville, historiquement marocaine, où la population était sortie en masse, avec moult drapeaux, pour accueillir les troupes victorieuses Forces Armées Royales.
Mon frère aîné, Haj Ali, jeune sous-lieutenant, aide de camp du Général Benomar, avait participé aux opérations au cours desquelles il fut blessé.
Par la suite, en tant que responsable du secteur de la Gendarmerie Royale de la région d’Agadir, il avait suivi les déplacements des commerçants marocains à l’occasion des ‘’mouggars’’ (foires annuelles) de Tindouf, drainant un mouvement considérable d’affaires entre le sud marocain et le sud algérien.
***
Nos collègues algériens étant toujours en Mauritanie, nous avons profité de cette situation d’incertitude pour circuler à travers Tindouf, petite ville en pleine expansion immobilière, dans un univers rude et triste, battu par les vents du désert.
Au gré des discussions avec les responsables locaux de la SONAREM, nos collègues algériens étaient annoncés ou signalés d’abord à Bechar, puis à Tindouf, sur la piste mauritanienne, et enfin à Gara Djebilet.
En fait, personne ne connaissait leur position exacte, car c’était le flou total.
Pour les retrouver, et sans grande conviction, nous fûmes contraints d’effectuer, en une seule journée, le trajet Bechar-Tindouf-Bechar-Tindouf (soit plus de 2.000km) à grande allure, en Citroën DS 21, heureusement confortable, mise à notre disposition par le maire de Bechar.
Au cours de notre bref séjour à Bechar, nous avons été à la ville charbonnière de Kénadsa, non loin de la frontière marocaine, où une petite centrale thermique utilisait l’anthracite extrait pour produire de l’électricité nécessaire à la ville.
Bechar m’avait remémoré aussi la liaison Ksar-es-Souk-Colomb Bechar des années cinquante, par une longue piste de plus de 350 km partant de la gare routière au centre de Ksar-es-Souk, et traversant les localités de Boudenib, Bouanane, Aïn Chaïr et Mengoub.
Sur le trajet Bechar-Tindouf, nous avons traversé la localité d’Abadla où un petit périmètre irrigué par le barrage construit sur l’oued Guir prenant sa source Maroc, était en cours d’aménagement.
Cette opération, décidée unilatéralement par l’Algérie, avait bénéficié, pour éviter un casus belli, de la bienveillance du Maroc qui avait renoncé à l’édification d’un barrage de retenue dans la région de Boudenib-Atchana.
Abadla m’avait rappelé les familles algériennes Sayyed, notables de la région, réfugiés durant la guerre d’Algérie à Goulmima chez mes parents, et sans nouvelles d’eux depuis qu’ils avaient regagné leur village après l’indépendance en 1961.
Après Abadla et le minuscule village de Tabelbala, ce sont, jusqu’à Tindouf, les immensités monotones et rocailleuses où poussent les rares buissons à chameau.
A Tindouf, pas de traces de l’équipe algérienne !
Le lendemain, dans le flou le plus total, nous avons rejoint, par une piste de 170 km, le gisement de Gara Djebilet au sud-ouest de Tindouf, à proximité de la frontière mauritanienne.
Là, le tracé avait été tiré au cordeau par les Français pour inclure le gisement de fer dans l’ensemble colonial relevant des Départements des Oasis, puis plus tard de la fantomatique Organisation Economique des Régions Sahariennes (OERS) que le Général De Gaulle voulait soustraire au territoire revendiqué par le FLN, après la découvertes des riches gisements d’hydrocarbures de Hassi Messaoud.
Des baraquements en tôle ondulée, avaient servi de camp et de base appui aux légionnaires des forces d’occupation françaises assurant la protection des équipes de techniciens et d’ouvriers chargées sur les lieux de l’étude du gisement, du prélèvement des échantillons et des essais pilotes d’exploitation et de valorisation du minerai de fer phosphoreux.
D’anciennes installations d’enrichissement du Bureau de Recherches Minières Africain (BRMA) étaient là, sous le soleil implacable, battues par les vents de sable et soumises au travail de sape de la corrosion, dans un environnement de pierraille brune, de collines pelées et de ravins longtemps et toujours desséchés.
Nous avons profité de notre séjour pour aller visiter la petite source d’Aïn El Agreb, à cinquante kilomètres à l’Est de Gara Djebilet, et boire le thé saharien de l’amitié et de la bienvenue avec les nomades Rguibat au teint méconnaissable, et aux visages membres burinés comme les écailles des crocodiliens.
Sur le chemin de retour vers Gara Djebilet, nous fûmes pris sous une terrible tempête de sable, et sur le conseil de notre chauffeur guide, nous sommes demeurés sur place en attendant le retour du calme profond, après le déchaînement impitoyables des éléments de la nature.
Aux baraquements, nous avons passé notre temps à jouer aux cartes et à nous adonner à la lecture des nombreux livres abandonnés par les légionnaires français.
Après trois jours d’une interminable attente, nos collègues algériens étant signalés à Tindouf, nous avons quitté Gara Djebilet à bord de deux Land Rover pour les retrouver au camp de la SONAREM et préparer ensemble la mission de reconnaissance du tracé de la voie de chemin de fer vers la côte atlantique.
Deux experts américains de la société TEMPO, étaient là pour participer à la mission en tant que conseillers en transport de la partie algérienne pilotée par l’ingénieur des mines, Témina, indifférent au contretemps de plusieurs jours.
Le soir, après un dîner très ordinaire, nous avons discuté longuement du programme, puis esquissé le circuit de la traversée du territoire marocain jusqu’à Tantan ; nous avons alors estimé atteindre la côte atlantique après deux jours de reconnaissance du tracé sans encombre.
Tôt, nous avons quitté Tindouf, à bord de quatre Land Rover Santana, avec tout l’équipement de campement, de survie et de reconnaissance.
Les chauffeurs Rguibat, visages dissimulés derrière leurs turbans bleus, étaient confiants de leur parfaite connaissance du terrain et des lieux de passage.
Au bout d’une demi-heure à peine, nous avons atteint la frontière algéro-marocaine, sans marque particulière, avant de nous engager dans la hamada, en longeant la frontière rectiligne de l’ex-Sahara espagnol.
La traversée fut relativement aisée, les Lands Rover roulant à très vive allure, comme à la parade, soulevant d’épais nuages de poussière ocre.
A plusieurs reprises, nous avons marqué une halte pour examiner les cartes, la nature des terrains et localiser les changements de déclivité de la future voie ferrée.
Aïchaoui de l’ONCF, faisait montre de beaucoup de professionnalisme comme pour impressionner les techniciens de TEMPO.
Les Algériens observaient sans broncher, alors que Kacimi et moi, étions là pour donner notre avis sur les zones de passage obligé.
Dans le secteur plat et monotone de la hamada, la réalisation du chemin de fer ne devrait pas poser de problème particulier, les travaux porteraient essentiellement sur des terrassements et la pose de la voie en terrain relativement consistant et de bonne tenue.
Après une longue journée, toute de sable et de sueur, nous avons décidé d’une pause méritée, les chauffeurs s’affairant pour piquer les tentes et installer le bivouac, non loin d’un campement de nomades intrigués par notre présence.
Aussitôt, nous fûmes assaillis par un groupe de militaires marocains (peut-être alertés par les nomades) étonnés de nous voir dans ces parages.
L’Armée marocaine était là pour surveiller la frontière avec l’ex-Sahara espagnol revendiqué depuis toujours comme partie intégrante de notre pays.
En dépit de nos explications sur l’objet de notre mission, nos interlocuteurs ne voulaient rien savoir, arguant ne pas être informés officiellement de notre passage.
« Vous devez venir avec nous à Zag pour vous expliquer avec le capitaine responsable de la garnison, car nous ne sommes pas informés de votre passage dans cette zone», nous dit le chef du peloton, quelque peu agressif et agité.
Que faire ?
Les Algériens et les experts américains étaient muets et perplexes, et nous Marocains, hôtes de la mission, étions sérieusement gênés par la tournure inattendue des évènements.
Pourtant, avant notre départ de Rabat, toutes les dispositions avaient été prises pour informer les autorités civiles et militaires du secteur du circuit et des lieux de passage de notre mission.
Sans attendre, et bien obligés malgré nous d’accompagner les militaires pour prendre contact avec le capitaine, chef de la garnison de Zag, j’avais proposé à mon collègue algérien, Témina, de partir en laissant le camp s’installer tranquillement.
En pleine nuit étoilée, à bord de deux Land Rover, nous avons quitté le bivouac, guidés par nos éclaireurs Rguibat, experts dans l’orientation par tous les temps, habitués des pistes chamelières, des ravins ensablés et encaissés, des buissons et des dépressions de terrain.
Après plusieurs heures de cahotement, nous avons atteint, tard la nuit, l’entrée de Zag dont on distinguait, à peine au loin, quelques lumières blafardes.
En plein milieu d’un oued, une de nos Land Rover tomba dans une crevasse, entraînant la rupture du système de freinage hydraulique, nous contraignant à continuer, à bord du deuxième véhicule, jusqu’à la caserne, seul bâtiment imposant de la bourgade de Zag.
Nous fûmes accueillis avec beaucoup d’égards et de chaleur par l’officier en second, tout confondu en excuses pour cette déconvenue sur notre circuit.
« Le capitaine chef de la garnison est à Tantan, il sera de retour demain, vous êtes les bienvenus parmi nous », nous dit l’officier avec délicatesse.
On nous servit un délicieux dîner et on nous logea confortablement au chaud.
Le lendemain matin, toutes les autorités locales de Zag, civiles et militaires, étaient averties de notre présence, et attendaient un message radio de la province de Tantan pour nous autoriser à poursuivre notre mission.
La batterie de la radio étant ‘’à plat’’, il avait fallu recourir à celle de notre Land Rover pour communiquer avec Tantan et obtenir le feu vert de qui de droit.
A Zag, il n’y avait pas de garage, ni d’atelier mécanique, et encore moins de lubrifiants pour système de freinage pour dépanner notre deuxième Land Rover immobilisée depuis la veille dans l’oued.
Nous étions réellement désemparés devant une situation aussi cocasse.
Le khalifa de Zag nous proposa curieusement de l’huile domestique !
Ne nous voyant pas revenir au bivouac, inquiets, nos amis du camp étaient venus à la rescousse avec l’outillage de secours.
La réaction des hommes du désert et des habitués des pistes avait bien fonctionné avec beaucoup de célérité, mais aussi de discernement.
Après la remise en état du véhicule et le feu vert des autorités locales, toutes confondues en excuses, nous avons rejoint notre camp, en espérant calmer les esprits torturés de nos collègues restés sur place.
Réellement, malgré les coups de gueule des responsables provinciaux de Tantan, les autorités locales de Zag, représentées par un frêle khalifa, et les militaires n’étaient pas informés de notre passage.
Le lendemain, après une dure journée de reconnaissance de la descente de la hamada, des oueds ensablés de la zone de Labouirate, d’autres déconvenues nous attendaient, au grand dam renouvelé de nos compagnons étrangers.
Au soir de cette journée, alors que nous installions notre camp, une escouade de soldats marocains était venue nous assaillir au pas de course, prête à tirer sur nous, sans sommation ni ménagement.
Nous avons encore une fois expliqué le but de notre mission, parlementé, palabré sans fin, et rappelé les péripéties de l’avant veille à Zag.
Coriaces, les soldats voulaient nous obliger à les accompagner au poste de Hassi Bouirate, à une trentaine de kilomètres pour rencontrer le chef du fort.
Mais après de longues palabres, nous les avons convaincus de nous laisser passer la nuit, sous leur garde, et de partir à Hassi Bouirate le lendemain à la première heure.
Les Algériens et les experts américains, décontenancés, voyaient déjà la mission compromise par des événements récurrents avec les forces armées marocaines, sur leur garde permanente le long de notre parcours.
Au lever du jour, le déménagement du camp fut rapide pour rattraper le retard dans la reconnaissance du tracé de la voie, dans cette zone d’oueds ensablés.
Nous sommes arrivés, avant midi, au casernement de Hassi Bouirate, vieille bâtisse datant de l’occupation espagnole de la zone de Tarfaya, perchée sur une colline dominant la vallée encaissée et ensablée de Labouirate.
Le vieux fort surplombait un puits implanté dans le lit d’oued qui alimentait en eau potable les militaires et les campements de nomades.
Le contact avec le capitaine chef de garnison fut très affable, et comme la veille avec ses soldats, il nous fit part de l’ignorance du passage de notre mission dans l’aire de son commandement.
Nous avons tous compris, à juste titre, que la coordination et l’information n’étaient pas le fort des Administrations civile et militaire marocaines.
Notre présence étant signalée à Tantan par message codé, nous avons attendu plusieurs heures pour la transmission, la réception et le décodage du message retour, la radio du fort militaire étant alimentée par dynamo actionnée en pédalo par un soldat, rappelant étrangement le film du ‘’Pont sur la Rivière Kwaï’’.
« Je suis navré de vous avoir retenus ici, mais je ne pouvais faire autrement, je vous souhaite bonne continuation », nous dit, avant notre départ, l’officier réellement dépité du contretemps subi.
Nous fûmes ‘’libérés’’ en début d’après midi, après avoir consacré en définitive plus de temps aux discussions avec les militaires qu’à l’examen des cartes et à la véritable reconnaissance du tracé de la future voie ferrée.
Les Américains étaient soulagés, alors que les Algériens avaient gardé un mutisme complet, ne se déridant que bien plus tard.
Après la reconnaissance du tracé sur le plateau rocailleux avant la localité de Msied, un autre arrêt nous fut imposé par des gardes mokhaznis à un passage obligé, à 70 km de Tantan.
Nous avons de nouveau attendu, durant plusieurs heures, le feu vert des autorités provinciales pour nous laisser continuer notre route.
Tard le soir, enfin, en véritables loups du désert, poussiéreux et hirsutes, nous sommes arrivés à Tantan, et accueillis avec beaucoup d’effusion par le Secrétaire Général de la province, tout désolé des perturbations sur notre parcours depuis l’entrée en territoire marocain.
Après nous être débarbouillés, une grande réception organisée par la province de Tantan, nous fit oublier, quelque peu, nos multiples mésaventures.
Le lendemain, nous avons reconnu l’embouchure de l’Oued Draa et le secteur de la Plage Blanche, terminus supposé de la future voie ferrée Gara Djebilet-Tantan.
Avec un grand soulagement, les experts américains de TEMPO, perplexes et peu diserts jusqu’alors, et Aïchaoui de l’ONCF avaient entamé l’élaboration d’une première esquisse de la future voie, puis fixé le programme de leurs contacts futurs pour approfondir davantage la nature du tracé.
Cinq jours après notre départ de Tindouf, en compagnie de Témina et des autres membres de la délégation marocaine, nous avons rejoint Rabat, après un passage rapide à Agadir, accueillis chaleureusement par le personnel du BRPM.
Les autres membres de la mission avaient repris le chemin de Tindouf, avec pour tâche d’emprunter le même circuit qu’à l’aller, en s’accordant cette fois le temps d’examiner en détail la configuration des terrains, les passages d’oueds et la remontée de la hamada.
Nous avons appris par la suite que le retour vers Tindouf s’était effectué sans encombre, à la satisfaction des experts de TEMPO.
A Rabat, Témina eut l’occasion de rencontrer le Directeur Technique du BRPM, Guessous, d’aborder avec lui le programme de la mise en valeur du gisement de Gara Djebilet et la constitution de la future société pour le transport et la commercialisation du minerai de fer.
De bonnes perspectives pointaient à l’horizon, alors que les relations algéro-marocaines semblaient s’engager dans une phase euphorique.
Tous, ensemble, nous avons espéré que cela continue !
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La première mission étant jugée relativement positive, et les relations entre les deux pays au beau fixe, une deuxième mission fut organisée en 1972 pour examiner l’état d’avancement des travaux et des études réalisées et commanditées unilatéralement par la partie algérienne.
Du côté marocain, le Département chargé des Mines était représenté de nouveau par Kacimi, le BRPM par Omar Amraoui, Chef de la Division de la Valorisation Minière et moi-même, et SEFERIF par Harrak, responsable des centres miniers de Nador (Wixan et Sétolazar), ingénieur de grande expérience, rompu aux problèmes d’exploitation et de transport du minerai de fer.
A Alger, nous avons, dès le premier jour, constaté le stand by du dossier, malgré l’optimisme affiché du Directeur Général de la SONAREM, Hmaïdia.
Le rapport de TEMPO, sensé être mis au point depuis un an, ne nous avait pas été communiqué pour en apprécier la pertinence et les conclusions.
Les Algériens faisaient semblant de ne lui accorder aucun crédit et considéraient que tout était à reprendre dans le cadre d’une nouvelle approche.
Avant de rejoindre Gara Djebilet, et sur notre demande, nous avons effectué un long périple le long de la côte méditerranéenne, à Bejaia sur le Golfe du même nom, Skikda, débouché maritime du Constantinois, futur grand centre de liquéfaction et d’exportation du gaz naturel du gisement de Hassi Rmel.
Nous avons découvert Annaba, site de l’ancienne Hippone, puis plus à l’intérieur, Constantine au dessus des gorges du Rummel, Sétif ville martyre de l’époque coloniale, Djamila /Timgad, connue pour ses imposantes ruines romaines de la ville antique de Cuicul fondée en l’an 100.
Avant d’arriver à Alger, tard dans la soirée, nous sommes passés par les défilés des Monts Hodna (1890m) qui ont connu des accrochages sanglants entre l’armée française et les groupes armés du FLN.
Au cours de ce long déplacement, nous avons découvert une Algérie avec ses fantasmes révolutionnaires, mais aussi les magnifiques paysages en Petite Kabylie le long de la côte méditerranéenne, zone à véritable potentiel de développement touristique de premier ordre, ignorée des autorités placées sous le joug du pétrole et du gaz des gisements fabuleux à Hassi Messaoud et Hassi Rmel.
Malheureusement, partout le délabrement des campagnes, l’insuffisance et le triste état des infrastructures d’accueil et d’hébergement étaient patents et laissaient supposer une profonde léthargie pour plusieurs années.
Ainsi, à notre arrivée tardive à l’hôtel le plus huppé de la ville de Constantine, nous n’avons pas pu dîner par suite de la fermeture du restaurant.
Nous avons assouvi notre faim par une omelette de mauvais goût servie dans nos chambres poussiéreuses.
De retour à Alger, et après une dernière mise au point avec les responsables du secteur des mines, nous sommes repartis par un avion Beachcraft à Gara Djebilet, via Bechar, accompagnés de Hmaïdia, Directeur Général de la SONAREM et Budin ingénieur civil des mines franco-algérien que je rencontrerai plus tard par hasard lors d’une escale à Orly Sud.
Notre séjour sur le site de Gara Djebilet fut une véritable répétition de celui de 1971, agréable mais sans intérêt particulier.
Sur place, aux baraquements et aux affleurements du gisement, rien de nouveau n’avait été entrepris par la partie algérienne.
Les livres laissés par les légionnaires français étaient toujours au même rayonnage, envahis par la poussière et l’oubli.
Les équipements du BRMA continuaient à être érodés par les éléments de la nature, et le gisement n’avait fait l’objet d’aucune activité réelle de recherche et développement ; c’était l’immobilisme absolu.
Après deux jours, ponctués de succulents méchouis, nous sommes rentrés à Oran par la piste et la route (environ 2.000 km).
Au passage, nous avons visité la cité de Tindouf, toujours aussi morne et triste, la splendide palmeraie de Taghit dominée par les dunes du Grand Erg Occidental, Ain Sefra, et en fin la ville d’eau minérale de Saïda au pied des Monts de Saïda.
En longeant la frontière avec le Maroc, nous avons observé les stigmates de l’occupation française et de la guerre de libération (champs minés, casemates, camps fortifiés, postes d’observation et miradors sur les hauteurs, terre brûlée).
D’Oran, deuxième ville d’Algérie sur la Méditerranée, ancienne ville coloniale, centre commercial et industriel, nous avons rejoint Alger par avion de nuit.
Le lendemain, nous avons visité les localités de Sidi Frej (Sidi Ferruch), petite baie à l’ouest d’Alger où avait débarqué le corps expéditionnaire français le 14 juillet 1830 pour prendre à revers les troupes turques, puis Tipaza avec ses vestiges romains, et enfin le quartier de Bouzréâa, sur les hauteurs dominant la capitale.
Nous avons quitté nos amis algériens avec l’espoir de voir le projet démarrer réellement, un jour proche.
Mais la nature controversée des relations maroco-algériennes avait fait tomber le dossier dans les oubliettes.
Les Soviétiques avaient tenté de le réactiver en étudiant le raccordement de Gara Djebilet au chemin de fer à Bechar-Ghazaouet, sur une distance de 1.600 km.
Il aurait même été envisagé le transport du minerai par avions gros porteurs !!!
La crise mondiale de la sidérurgie, la découverte d’immenses gisements de fer de bonne qualité et non phosphoreux au Brésil et en Australie, la perpétuation de l’affaire du Sahara occidental, avaient enterré, pour longtemps, cette belle perspective de la construction du Grand Maghreb.