Eric Nguyen : le XXIème siècle devrait être africain
Les Afriques : Le XXIème siècle pourrait bien constituer le siècle de l’Afrique, soutenez-vous. Qu’est-ce qui vous permet une telle affirmation ? Un afro-optimisme forcené ?
Eric Nguyen : Je n’ignore pas la situation absolument catastrophique dans laquelle se trouvent certains pays africains (Liberia, Sierra Leone, RDC, Somalie). Des ouvrages comme Négrologies se sont fait l’écho d’un pessimisme renforcé sur le continent africain. Toutefois, si l’on prend le continent noir dans sa globalité, l’afro-pessimisme, prégnant dans les mentalités occidentales, apparaît un peu désuet. Je me base sur les études des cabinets de conseil et d’étude pour lesquels l’Afrique est devenue une terre d’opportunités pour les investisseurs. Selon le FMI, le taux de croissance moyen a été de 5% de 2000 à 2009.
« Des ouvrages comme Négrologies se sont fait l’écho d’un pessimisme renforcé sur le continent africain. Toutefois, si l’on prend le continent noir dans sa globalité, l’afro-pessimisme, prégnant dans les mentalités occidentales, apparaît un peu désuet. »
Jim O Neill, économiste chez Goldman Sachs, estime que dans 40 à 50 ans, les grands pays africains rejoindront les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Selon lui, le Nigeria pourrait en 2050 dépasser l’Italie, la Corée du Sud ou encore le Canada.
Bien évidemment, il s’agit de prévisions, sujettes à caution, mais globalement, l’idée d’une émergence de certains pays africains apparaît censée. La preuve en est la confiance des investisseurs étrangers. Les investissements étrangers sont passés de 9 milliards de dollars en 2000 à 62 milliards de dollars en 2008. C’est presque aussi élevé que les investissements étrangers en Chine ! Les investisseurs (qui ne sont ni des philanthropes, ni des naïfs) n’auraient aucune raison d’investir s’ils n’étaient pas sûrs de bénéficier d’un retour sur investissement.
LA : Parmi les atouts de l’Afrique, vous citez l’abondance de ses matières premières. Celles-ci ne sont pas signe de développement en Afrique. Les pays les mieux dotés, la RD Congo, la Guinée ne sont pas les plus développés. Même dans le monde, le Japon, la Suisse démontrent que les matières premières ne sont pas l’essentiel pour se développer.
EN : Je ne suis pas naïf. La possession de matières premières ne fait pas forcément la richesse d’un pays. On peut citer la RDC, véritable « aberration géologique », selon l’expression consacrée. Au contraire, les matières premières peuvent même constituer un handicap. C’est ce que l’on appelle le « syndrome hollandais », ou malédiction dse matières premières. L’extraction de matières premières (mines et puits de pétrole) ne crée pas énormément d’emplois. Les revenus engendrés par l’exploitation des matières premières suscitent une forte appréciation des devises des pays africains producteurs, pénalisant les autres exportations.
Les revenus colossaux tirés de la vente des matières premières ne profitent souvent qu’à une petite minorité corrompue, cas de l’Angola, par exemple. La croissance y varie de 15 à 20%, mais 70% de la population vit dans la pauvreté. C’est une croissance artificielle sans développement, portée par une économie de rente, sans transfert de richesses aux populations.
La spécialisation dans l’extraction des matières premières détourne les pays africains de l’agriculture, avec le risque de dépendance alimentaire qui en découle. Enfin, la spécialisation dans l’extraction et l’exportation des matières premières (à faible valeur ajoutée) constitue un frein à l’industrialisation des pays africains. Ils s’enferment dans l’impasse des exportations à faible valeur ajoutée, peu créatrice d’emplois et sans transfert de technologies.
On peut parler dans certains cas d’un échange inégal, l’Afrique exportant ses matières premières pour importer des produits finis en provenance d’Europe ou de Chine. L’échange inégal (matières premières contre produits transformés) constitue d’ailleurs une forme de néocolonialisme. Il peut aller jusqu’à la caricature : l’Afrique exporte son bois et son coton vers la Chine et importe meubles et vêtements en provenance de Chine !
Ceci-dit, l’explosion de la demande pour les matières premières (atténuée récemment par la crise) a apporté des devises à l’Afrique. Celle-ci est à un tournant de son histoire. Il lui faut maintenant développer une industrie à haute valeur ajoutée et à haute intensité de main d’œuvre. L’Afrique doit monter en gamme dans ses exportations et produire des produits manufacturés.
A ce sujet, on peut citer le Mexique, le Brésil, le Chili, l’Indonésie, la Malaisie, l’Australie, lesquels ont réussi à dépasser la spécialisation dans l’exportation des matières premières pour se doter d’une industrie à haute valeur ajoutée.
En résumé, les matières premières peuvent constituer un atout formidable pour l’Afrique à condition qu’elle se libère de l’échange inégal et dépasse l’exportation des matières premières pour se doter d’une industrie.
LA : L’énorme marché potentiel que vous invoquez par ailleurs ne sera-t-il pas de portée très réduite du fait qu’il n’est pas très solvable et ne le sera pas sans un véritable accroissement des ressources des populations ?
EN : Bien évidemment, un marché c’est une population… qui a les moyens de consommer ! Sinon l’Inde serait l’un des premiers marchés du monde. Toutefois, on assiste à un phénomène d’urbanisation et d’émergence des classes moyennes. En 2030, 50% de la population africaine vivra en ville. En 2008, 85 millions de ménages africains ont gagné 5000 dollars par an. Ils ont consacré leurs revenus à la consommation. Les télécommunications (téléphones portables puis Internet) seront des secteurs d’avenir. Ajoutons que le Brésil, la Chine et peut-être l’Inde, avec des produits moins chers que les produits occidentaux, profiteront sans doute mieux du marché africain.
LA : A propos de la démocratie, si le développement de la société civile est effectif, en revanche, de nouveaux travers apparaissent. Coup d’Etat militaire, succession monarchique, bricolage constitutionnel et conflits réels ou potentiels.
EN : De façon extrêmement paradoxale, on assiste au phénomène suivant : la démocratisation annoncée dans les années 90 (discours de la Baule) n’a pas vraiment eu lieu. En Afrique francophone, l’alternance démocratique (cas du Sénégal avec le remplacement de Diouf par Wade) ne rime pas forcément avec passage à la démocratie. On a assisté à un retour des coups d’Etat militaires (Guinée) et à l’émergence de successions dynastiques. Bongo fils au Gabon, fils d’Eyadema au Togo aujourd’hui. Wade fils et Moubarak fils, demain peut-être. Les élections en Côte d’Ivoire et en Guinée apparaissent entachées d’irrégularités… Les dirigeants cités hier en exemple par les Etats-Unis, jugés comme les représentants de la « renaissance africaine », comme Musuveni en Ouganda, Afeyorki en Erythrée et Zénawi en Ethiopie, se sont révélés être des autocrates comme les autres.
Toutefois, du fait du développement de l’individualisme, du repli de l’individu sur la sphère de ses intérêts privés, on assiste en parallèle à un essor des idéaux démocratiques au niveau de la société civile. Les ONG, les associations, les médias, les blogueurs, les regroupements locaux, témoignent de la vitalité de la société civile. La démocratisation par le bas suscitera à très long terme une démocratisation des institutions par le haut. Reste à savoir si cela se fera avec ou sans violences…
LA : L’Afrique n’est pas une. Quels sont les grands groupes que vous distinguez dans votre projection ?
EN : La réponse n’est pas très originale. On pourrait distinguer les pays africains selon l’appartenance à l’ancien empire colonial (ex-colonies françaises, anglaises, portugaises, espagnoles). On peut aussi distinguer les pays qui décollent (Nigeria) de ceux qui restent à la traîne (Sierra Leone). Toutefois, je préfère reprendre la spécificité par grandes aires géographiques et culturelles. Je ne parlerai pas d’un sous-choc des civilisations, mais plutôt de tentatives d’intégrations régionales intéressantes et encourageantes : l’Union du Maghreb arabe, la CEDEAO, la CEEAC, le COMESA, la SADC.
Parallèlement à l’Union africaine, les pays africains se sont regroupés au sein de cinq grandes organisations régionales, avec des fortunes diverses. L’UMA (Union du Maghreb arabe), qui rassemble la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, est affaiblie par les dissensions entre le Maroc et l’Algérie. La CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest), qui rassemble quinze pays francophones, lusophones et anglophones, est entravée par la disproportion entre les autres pays et le Nigeria, qui revendique un rôle prépondérant voire hégémonique. La CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), qui regroupe le Tchad, la République centrafricaine, le Cameroun, la Guinée équatoriale, São Tomé et Principe, le Gabon, le Congo-Brazzaville, le Congo-Kinshasa, l’Angola, le Rwanda et le Burundi, est empêtrée dans les rivalités pour le leadership entre le Gabon et le Cameroun. Les guerres civiles au Congo-Brazzaville et en République centrafricaine, l’instabilité politique au Tchad et au Congo-Kinshasa, ne contribuent pas à l’essor de la CEEAC. Le COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe), qui regroupe dix-neuf pays, est un rassemblement hétéroclite de pays. Il manque de cohérence et d’unité. L’Egypte, qui en fait partie, n’y joue pas le rôle de leader, ses ambitions étant tournées vers le Moyen-Orient. Enfin, la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe), à la pointe méridionale du continent, de la République démocratique du Congo à l’Afrique du Sud, qui y joue évidemment un rôle prépondérant du fait de son poids politique et économique. Le PIB des quatorze autres pays de la SADC représente 40% du PIB de l’Afrique du Sud. CES
http://www.lesafriques.com/actualit...e-siecle-devrait-etre-africain.html?Itemid=89